Si l’architecture de la chapelle Saint Thomas ne présente pas d’éléments particuliers, les fresques par contre sont exceptionnelles. Malgré les déboires d’une restauration désastreuse, elles peuvent se vanter d’être parmi les plus belles fresques de Corse et charment par leurs couleurs délicates et leur tracé précis.
Cette chapelle, la plus ancienne dédiée à Saint Thomas et magnifiquement située sur un promontoire, domine toute la vallée du Golo et se dresse à 300m du château en ruines fouillés par D. Istria.
Elle a malheureusement été ravagée par une restauration intempestive en 1930 qui avait pour objectif de refaire le toit mais qui eut comme résultat la destruction d’un tiers de la longueur de l’édifice ! Ces travaux, réalisés aux explosifs, endommagèrent considérablement les fresques et réduisirent l’édifice dont la longueur originelle est encore marquée,à l’extérieur, par une ligne de pierres affleurant au sol entre les tombes.
Malgré ces avatars, la chapelle a gardé des fresques qui figurent parmi les plus belles de Corse.
Amputé de sa façade occidentale originelle, l’extérieur n’offre que peu d’intérêt : l’abside semi-circulaire avec son toit en teghie et sa petite fenêtre centrale, ici très étroite, répondent aux caractéristiques des chapelles romanes pisanes. Dans le bas de l’abside, on observe cinq orifices carrés sous une rangée de pierres débordantes. Une petite niche se profile vers le sud-est . La porte sud est surmontée d’un linteau triangulaire dans lequel est taillé un tympan en arc en plein cintre surbaissé.
Au centre, une inscription porte la date de 1470 : MCCCCLXX..XXII Ju…Aton Bonom. Ce nom, Antonius Bonumbrus se retrouve sur le reliquaire trouvé sous l’autel de la chapelle en 2001 et aujourd’hui conservé dans l’église paroissiale de Pastoreccia. Il s’agit d’une boite en bois recouverte de cire sur laquelle apparaissent plusieurs sceaux dont celui d’ Antonius Bonumbrus, évêque d’Accia de 1467 à 1480. C’est sans doute cet évêque qui a présidé à la rénovation de la chapelle et à la création des fresques en 1470. Sur l’ébrasement de la fenêtre de l’abside, une autre date est mentionnée : 1370. S’agit-il d’une erreur (il manque un C) ou d’ un autre évenement ? La question reste ouverte.
Le côté sud porte les traces d’une fenêtre qui a été obturée. La technique de construction, l’utilisation de pierres moyennes éclatées plutôt que taillées, incite Genevière Moracchini-Mazel à dater la fondation de l’édifice de l’époque pré-romane, soit entre le 7e et le 9e siècle.
La nef unique, d’une largeur de 6,90 m, avait à l’origine une longueur 14,30 m ; elle se termine par un arc triomphal encadrant une abside voûtée en cul de four.
Quand les yeux se sont acclimatés à l’obscurité, on découvre avec émerveillement un Christ en majesté de toute beauté dont le regard vous pénètre. Il est assis avec une main aux doigts levés en signe de bénédiction et tient un livre avec le texte « Ego sum lux mundi et via veritas.E.(t) v.(ita) » (Je suis la lumière du monde et le chemin de la vérité et la vie). Son trône se détache d’un édifice symbolisant la Jérusalem céleste.
De part et d’autre, deux anges musiciens et en dessous le tétramorphe : de gauche à droite, un motif disparu (le lion de Marc), l’ange (Mathieu), l’aigle aux plumes de paon (Jean) et le taureau ailé (Luc).
Encadrant la fenêtre, le traditionnel bandeau présentant les apôtres, six de chaque côté, difficilement identifiables à l’exception d’un très beau Saint Jean (à droite de la fenêtre) et de Saint Barthélemy portant sa peau. L’arc triomphal présente l’Annonciation : à gauche l’ange, à droite la Vierge debout. Ils sont tous deux agenouillés et se font face. En dessous, Saint Michel en armure terrasse le dragon d’une longue lance tout en tenant la balance qui pèse les âmes dont certaines glissent vers l’enfer.
Le mur nord, fort endommagé, devait évoquer la passion du Christ. On aperçoit encore : la cène, Jésus au jardin des oliviers, l’arrestation, le Christ les mains liées (la flagellation), la crucifixion avec Marie au pied de la croix.
Enfin, sur le mur sud, trois saints :Jean-Baptiste, Antoine ermite (avec un cochon), Françoise d’Assise (crâne tonsuré et stigmates) et trois saintes : Catherine d’Alexandrie (avec le bâton de son supplice), Lucie (portant ses yeux) et la belle Madeleine.
A droite, une scène, unique dans le répertoire, présente le purgatoire ou l’enfer fermé par une porte (à gauche) : dans un foisonnement de démons cornus, des personnages nus sont précipités dans de vastes chaudrons où ils vont mijoter. Sur les chaudrons, sont inscrits les noms de péchés capitaux : Superbia, Avaritia, Lusuria, Ira.
Une toute récente mission d’étude (janvier 2016) a permis de mettre en évidence la présence d’un texte, très dégradé, dans la partie supérieure gauche de la scène dans la faible largeur de la porte. Toussaint Quilici, à qui nous devons ces informations, y a identifié le mot : Etterno. La disposition et ce mot renvoient à l’enfer de Dante, chant III Porte et vestibule de l’enfer : Per me si va nelle città dolente, per me si va ne l’etterno dolore….(par moi on va vers la cité dolente, par moi on va vers l’éternelle souffrance…). Un peu plus loin, un autre mot se détache Beatum (béatitude) près d’une femme qui sans doute se dirige vers la sortie, ses péchés expiés. Il s’agit donc bien d’une scène du purgatoire et non de l’enfer.
Ces superbes fresques sont à dater de la fin du 15e siècle comme le mentionne la date du linteau de la porte sud. Elles valent largement la visite.
Des fouilles menées par l’Inrap en octobre 2011 ont mis au jour deux niveaux de sol et trois types d’inhumations. Le matériel trouvé induirait une datation du 14e siècle pour le côté de l’abside.
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